Le vol pesant d'oiseaux noirs, leurs ailes de plomb déchirant le ciel d'ardoise. Une avenue glaciale aux lumières neigeuses, qui s'étale jusqu'au néant. Derrière, la nuit, infinie, sans espoir ni répit. Le silence éternel d'un après "jamais", sentence confirmée par des faits plus que par des mots. La route est longue, qui part vers les ténèbres. De l'autre côté, le pont verglacé s'étire vers les étoiles artificielles de la petite ville, mesquine construction fondée sur des réputations et des dés déjà jetés.
Il faut marcher pour arrêter de penser, ne pas désespérer. Ne pas trouver de non-raison à une histoire sordide où les personnages sont toujours en sursis. La seule égalité, à quelques lettres d'or près, sera celle du cimetière.
Des prairies perdues ne restent que les barrières de barbelé et de bois saturé de pluie. L'eau ruisselle, l'eau gèle... Qui de l'humidité ou du froid l'emportera ? Les useurs d'humeur, tueurs de belles heures, ont fait de ces terres leur temple. Il n'y aura pas d'armistice. La souffrance, portée dans l'air, se respire. Elle sape l'été de sable, lamine les libres embruns.
Il faut marcher. Ne pas partir trop tard, surveiller les aiguilles, perfides. Déjà il fait noir, déjà le temps dépêche ses traquenards. Le silence amplifie le clapotis gris de gouttes fantômes... les larmes des morts, la lymphe des vivants. Et puis le fleuve infernal sous ce pont des pendus, invisible, en embuscade, prêt à charrier mille cadavres.
C'est une contrée où tous les maudits se sont rencontrés, une contrée de brouillards et de funérailles. Un sol acide, épuisé, où seules noirceur et rancœur règnent.
Ici s'enracinent la fin des temps...
Et celle des sentiments.