Tu écris dans une pièce sombre, à la plume. L'encre noire invisible d'obscurité mord le parchemin aux mauvais endroits. Lignes déformées, qui se jettent dans le vide de pensées morbides. Tu ne vois rien. Tu ne comprends rien. Mais c'est bien toi qui écris. Par moments furtifs un rayon de lumière balaie la pièce. Fantomatique, persévérant. Il tourne en rond, à intervalles réguliers. Tu le sens arriver. Il va déchiffrer quelques lettres, au hasard, ou réveiller un espace. Roulette russe du temps qui passe en ignorant ton rébus.
Tu es assis là, avec ta plume, ton parchemin, depuis un certain temps. Il n'y a pas d'horloge, mais tu sais que les aiguilles avancent. Tu n'as toujours pas idée de ce que tu écris. Il fait si noir. Et froid aussi. Des fourmillements dans les doigts, fatigués de retenir ces lignes qui continuent à se jeter dans le vide.
Un jour tu peindras, tu l'espères. Des couleurs par milliers, s'entremêlant en plages uniformes, s'opposant en blocs obstinés. Tu sais qu'à partir de là, tu verras. Tout. Et il n'y aura plus à comprendre. Juste à aimer.
La pièce semble déjà différente. La lumière qui tournait en rond a disparu. Des fenêtres se sont dessinées, élargies, entrouvertes. Un fond bleu, une douce clarté. Omniprésence naturelle qui n'aurait jamais dû céder la place. Le ciel ou l'océan ?
Désormais, il n'y aura plus de nuit, mais une prairie d'étoiles. L'eau n'est plus à craindre. Elle ne l'a jamais été, en vérité. Les hideuses gargouilles qui t'entouraient sont enfin tombées. Effritées par des décennies de leur propre monstruosité. Tu pensais qu'elles ne céderaient jamais. Mais tu n'as plus à y penser.
La rivière peut te parler, tu sais qu'elle ne te laissera jamais seul, désespéré. Les murs de grisaille qu'ils avaient construits autour de toi ont été rongés par le soleil. Tu t'es échappé vers lui. Et il t'as trouvé.
Tu peux peindre maintenant. La rivière, le soleil, tous ces arbres qui t'abritent... et l'or des tournesols. Ton passé de plomb et de pleurs a sombré, englouti dans l'oubli. Il n'aura eu raison de ton présent de vie. La danse des saisons t'apporte tout ce dont tu as besoin... Un éventail de couleurs, de saveurs, une quiétude sans fin. L'audace d'espérer et celle de sourire.