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La maison de famille


Bientôt ils quitteront la route principale du bord de mer. Ils s'engageront entre les vagues de collines plantées d'oliviers et de citronniers. Puis ils bifurqueront vers une petite route discrète que seuls quelques riverains empruntent.

Il faut prêter attention pour déceler ma présence au bout de l'allée sinueuse bordée de tilleuls vert printemps. Il n'y a pas de "défense d'entrer" ou de "propriété privée". Il y a la vie, eux et moi, cela suffit.


Entre mes murs orangés, je garde au chaud leurs sourires et leurs rires depuis des années. Même si je n'ai jamais été abandonnée, ils ont su me rendre toute ma vigueur et ma beauté originelle. Je me dois de veiller sur eux.

Petit à petit, ils m'ont entourée de différents jardins où les oiseaux trouvent nourriture en abondance au fil des saisons.

A l'extrémité est, juste devant la baie vitrée de la cuisine, les aromatiques foisonnent dans de larges plates-bandes. Des haies de baies tant sauvages que cultivées les délimitent sans les entraver.

En pente douce depuis la terrasse sud, le potager géant étend ses élégantes allées. Mille variétés anciennes s'y sont adaptées à la faveur d'une terre à peine amendée.

Un peu plus loin se dessine un verger généreux, fruit de recherches fouillées, haut lieu de ravitaillement pour les écureuils roux et les biches... Enfin le petit lac, aménagé de son pont en arc et de ses plantes étincelantes qui se détachent sur les tons sombres des bosquets, ultime ligne d'horizon.

Plus à l'ouest, la fontaine réverbère les derniers rayons de soleil. Au milieu des figuiers, la balancelle et la vieille table en mosaïque font office de salon de thé.


Je sais qu'un jour, ils ne repartiront plus. Ils resteront avec moi, vacances ou pas. Je les ai entendus mille fois en rêver à voix haute dans le salon ambré, à peine réveillés par l'odeur du café.

"Vivement, vivement..."


Jour après jour, ils revivront les traditions qu'eux et moi avons façonnées, ancrées, consacrées. Les rôtis des dimanches avec les légumes de saison à peine cueillis, les Noëls douillets sans fioritures embarrassantes, les chasses aux oeufs en chocolat au printemps entre les buissons déjà fleuris... Et tous ces moments à pâtisser, parce que l'enfance ne les quittera jamais... La dolce vita non può finire.

Ils profiteront sereinement des collections que je préserve depuis notre première rencontre : la géométrie des céramiques Fanciullacci, l'exubérance des verres de Murano et de Kosta, la nostalgie des boîtes à musique Reuge...

Ils accrocheront enfin ces imposantes toiles abstraites achetées il y a quelques années. Elles joueront au clair obscur avec le palissandre et l'acajou du mobilier.

Et puis il leur faudra choisir entre les tirages de leurs propres photographies pour habiller les murs de l'atelier, où scintille toute la féerie de la Scandinavie. Là où ils laissent l'hiver s'enfuir, confortablement absorbés dans leur créativité. Seuls les premiers semis, mi-février, balayeront cette bénéfique torpeur. La grande serre redeviendra alors leur quartier général.

Ils se sentiront toujours à la maison. Protégés, aimés, privilégiés. Au calme et au chaud. Loin des blessures et des amertumes, des déceptions et des trahisons. L'ultime refuge face à la folie du monde.

Ils auront toujours une maison. Ils auront toujours une famille.

Quel plus beau nom que le mien ?

La maison de famille.



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